Alger juillet 93

La Gaouria à Alger 1

C’est des extraits de mon cahier tel qu’il a été écrit en 93. J’avais 23 ans, j’étais avec ma copine Flox, voici ce que j’avais noté :

Y’a quelques dessins de Flox que j’ai scanné, et des notes en petit pour aider la compréhension.

Rachid est mon pote en France. Au dernier moment -on avait déjà les billets- alors qu’on devait aller chez lui, il a fallu trouver un plan B car il voyage dans les Pyrénées…doit y avoir une fille.

On est arrivées lundi en avion.

On a attendu une heure au passeport et encore une demie heure aux bagages.

Après on a cherché Karim. On va être chez lui, Redha nous a dépanné chez son pote Ka

voici ce qu'on voit de la terrasse chez les parents de Karim

rim,  vu que Rachid devait venir mais a un autre truc à faire en France.

Il y avait des résidus de colons, barbe en collier, costume et canne à pommeau d’argent.Des flics partout et des nanas qui criaient. C’est deux potes de Karim qui viennent car Karim travaille. Mimo et Smaïl nous laissent nous installer, et ensuite ils viennent nous chercher pour aller bouffer dans un resto à l’est d’Alger avec Karim.

On dirait le self de la biblio de Beaubourg en mieux :  y’a un petit port de pêche, des maisons comme au Mexique (comme dans Lucky Luke) on a mangé des crevettes en sauce, du merlan frit, et des rougets grillés. ! Drôlement frais, vachement bons.

Mimo et Smail nous ont invitées en plus ! ensuite fallait rentrer avant le couvre-feu. Les barrages sont impressionnants : faut ralentir, lever la main droite, allumer la petite lampe sous le rétro, passer dans la chicane. Avec des mecs armés jusqu’aux dents, qui ont la trouille, ils rigolent pas, faut pas déconner  sinon y tirent dans le tas.

Mardi

Le lendemain, on se lève un peu tard, et on cherche un plan d’Alger, ce qui n’est pas une mince affaire. On voulait changer du fric, se ballader, on a tourné pas mal en rond avant de se retrouver.

On a fini par trouver une carte  et on est allées tremper nos pieds à la plage sous Bab el oued.

la plage où on ne se baigne pas

C’est complètement à l’autre bout, mais pas de problème, il fait 38 degrès, pas de problème…on tombe sur la plage un peu cracra, y’avait deux ivrognes, 3 paumés, et un gosse qui est venu nous dire « faut pas rester là, vous êtes sur une plage qui craint ». On a dit OK et est reparties ; en plus, on pouvait pas se baigner, y’avait une espèce de terrain vague, et des rouleaux  terrifiants sur une pente assez raide. Et trente mecs un peu louches qui avaient un regard de hyène affamée.

Alors on a voulu traverser la casbah mais  on s’est gouré, ça tombait bien, on nous a dit plus tard que « si t’habites pas la casbah, tout seul, tu te fais dépouiller. »

Ensuite on avait rencart avec Karim fallait rentrer, on est repassées par la place Abd el Kader et par la grande Poste. Mais entre temps on avait acheté des babouches, ce qui est une très mauvaise idée pour se balader. Au début on trouvait ça confortable, mais ça fait très vite des ampoules et on avait l’air plouc, personne ne met de babouches pour marcher car tout le monde sait que ça fait mal aux pieds.

Puis Karim nous a proposé d’aller au diner à l’ambassade (c’était le 13 juillet).

On s’est donc retrouvées dans les jardins de l’ambassade de France avec des vieux et des jeunes coopés qui regrettaient le temps de l’Algérie Française. Normal, c’est très beau ici, on dirait la côte d’Azur sans le béton. Pleins de gens déguisés en 16 arrondissement avec des gosses à noms composés, qui  tiennent des conversations à mourir de rire -ou d’ennui- et se jettent sur le buffet composé essentiellement de jambon et de vin, de fromages et de pain de seigle, qu’on ne peut pas trouver ici -si c’est pas de la provoc-.

depuis les jardins de l'ambassade

Nous avec Karim et ses potes on a pris une assiette et on est allés dans la pelouse…

A la fin de la petite sauterie, les poufiasses nostalgiques des colonies ont raflé tout ce qu’il restait dans de l’alu, et se sont fait raccompagner, et nous on est allés au bal (façon bal d’assas ou de polytechnique) avec des gars fringués 16èmeet des nénettes ultra snobs et à la mode.(Flox et moi on ne correspond pas aux codes). Bon, on a bu des coups alors et on a attendu que ça se passe, Flox est passé à la phase provoc, et moi à la phase dodo sur un muret. Il fallait attendre la fin du couvre-feu

leplan qu on a trouvé au bout d'une semaine

pour que Lamia nous ramène.(je craignais plus pour ma vie en voiture avec Lamia que si j’avais du rentrer à pied dans le couvre feu.)

Vrac

Les gars qui tiennent les murs dehors sont vraiment curieux : Ils nous disent des fois des trucs très gentils, et des fois juste kss kss, mais par contre dès que tu sors, c’est parti « kss kss, bellissima, je suis amoureux… » ou bien une tirade en italien, c’est un peu fatigant à la longue.  ! On a bien essayé de parler russe –enfin moi je bredouillais Da Da- mais ça ne les empêche pas de conclure régulièrement par « Salope ». Et une fois on est tombées sur un gars qui parlait vachement bien russe.

très explicite

Une fois c’était plus lourd encore que d’habitude, alors Flox a fait un bras d’honneur pour signifier qu’elle en avait marre. Le gars s’est fâché et nous a couru après, jusque la maison de Karim chez qui on squatte. Bref , courir en santiags (Flox) et babouches (moi) c’est pas très simple, mais je crois qu’on a battus un record de vitesse pour remonter Didouche. (toutes les rues montent à Alger)

A Alger on peut conduire à 5 ou 6 sur une trois voies. La distance de sécurité n’existe pas, et les gens arrivent toujours à freiner à 5 millimètres des autres voitures.

Mercredi

La famille Mahfouf nous a emmené à la plage :

Karim a dormi j’ai ramassé des coquillages avec M. Mahfouf. Les plages sont bien plus grandes qu’à notre côte d’Azur,et l’eau est plus claire. Y’avait bien un ou deux pots de colle, mais ça allait relativement grâce aux parents.(moi j’aime beaucoup papa Mahfouf, il est kabyle, ça doit aider).

Y’a un hélico militaire qui a survolé la plage, très bas avec des mecs armés et debout dedans, ça fait peur, ça fait un peu Vietnam.* On est rentrées en voiture, (c’est dangereux ici y a pas de priorité à droite par exemple, et pas de marques au sol quand y’en a tout le monde s’en fout) pour aller chez Mimo où y’avait plein de monde, Smaïl, Yacine, et la pote de Karim Djewida drôlement chouette très discrète, Anissa la sœur de Mimo et sa cousine, qui riaient tout le temps. On a super bien mangé des trucs au barbecue, de la salade, du riz, du pain et de la citronnade avec des citrons du jardin.C’est une chouette maison ici, on voit la moitié ouest de la baie d’Alger.

*j’ai été élevée au Larzac, au milieu des babas

Jeudi

Il est question qu’on aille en Kabylie, mais il paraît qu’il y a des risques. On va voir. Ah oui finalement on va à Azur Plage avec Yacine et Mimo Anissa Chem et Lamia.(pourvu que je tombe pas dans la  caisse de Lamia). Ce soir on mange chez les Menaa.(les parents de Reda que j adore mais qui est en France aussi…)

Flox dit bonjour au chien de Mimo...tema les tiags...

Vendredi

Alors on a mangé chez les parents de Redha hier soir qui sont très cool. Bon ça craint un peu, y’a des barbelés autour du jardin, et c’était tendu au moment du retour speed avant le couvre feu. Sinon, c’est super ici, les frères de Redha sont très très bien élevés et font ce que dit la maman. Medhi ressemble terriblement à Redha. La même tête.

Pour la petite histoire j’ai cru voir Redha alors que c’était Medhi dans le tunnel du centre d’Alger sur le trottoir -j’étais sur le point de l’engueuler de pas nous avoir prévenues d’être arrivé-.

Samedi

Là, on a fait du ménage et la chasse aux cafards –j’en ai jamais vu des comme ça, ils volent- enfin, un génocide on a fait. Après sous une chaleur d’enfer on est montées au musée du Bardo fermé finalement, -ben oui c’est samedi- alors on a voulu aller à la maison du peuple fermée au public, et on a pas trouvé le musée de l’artisanat. Pis comme il faisait vraiment très chaud, on a abandonné l’idée d’aller au musée d’archéologie. Bon, du coup on a acheté une pizza -avec une ristourne- à M.Mounir qui est gentil et ne nous a pas branché comme d’autres d’habitude sur nos yeux nos formes nos papiers… On va chercher tout à l’heure Anissa qui doit nous aider à louer une caisse pour aller deux jours en Kabylie .

Hier on est allées chez Lamia avec Karim pour bouffer des spaghettis et du corned beef qui a rendu Flox malade. On a dormi dans la grande maison de Lamia (ça fait douze fois mon appart rue Léon) avec les trois chats les deux chiens. Ce matin dimanche, ils étaient à la bourre au boulot alors ils nous ont largué dans Alger centre, on est rentrées attendre le coup de fil de Rabi3a –la sœur de Rachid- et là ma parole on a speedé comme des fous !

Hop le musée du Bardo, c’est une maison de prince sultan, ou un truc comme ça avec une cour carrée, pleine de mosaïques joliettes, un hamam, une salle d’armes, et des objets du néo ou paléo lithique, bref des silex, des bijoux des poteries et un squelette de femme presque entièrement conservé dans les dunes du Sud.

Hop le musée antique : deux trois machins romains, quelques mosaïques incomplètes,une fontaine et des sculptures comme au Louvre, super bien.

Et la rue Didouche et le parc qui tombe dedans, ses commerces, ses cafés…

Ah oui dans tout ça, le corned beef a fait un effet d’enfer à Flox qui a pas arrêté de gerber. Et moi non plus j’étais pas trop d’attaque avec Marcello qui fait des siennes.* (Il doit sentir qu’il en a plus pour longtemps)

Après ça on en avait pas assez, alors on est allées en taxi à l’est au monument des martyrs où il y a le complexe canadien qui fait la gloire d’Alger, avec trois feuilles de palmier vers le ciel. On ne peut pas monter, des militaires en arme interdisent l’accès. Y’a un super point de vue tout autour, et on est descendues en téléphérique jusqu’au jardin d’essai très beau. Puis Rabi3a nous a emmené à un chouette marché acheter des fruits, et on a goûté chez ses parents qui sont aussi ceux de Rachid -très adorables-.

*Marcello est l’embryon de trois semaines que je trimballe et dont je me dois m’occuper en rentrant d’Alger

Lundi

On a pris le bus pour aller à Tipaza à la gare routière. On était les seules touristes.Tellement c’est beau  et tellement on a fait des photos et on a traîné à la pêcherie à côté du site, on a raté le bus pour rentrer… il a fallu rentrer en stop avec deux gros nazes pas très sympathiques qui nous ont ramené à Alger quand même -Flox a été très autoritaire- bien que je pense que ce n’était pas exactement dans leurs projets de départ.(et je n’avais qu’un pauvre opinel pour nous défendre).

Bref on est arrivées à la bourre à 20h, alors qu’on devait retrouver Karim et Mimo pour aller au resto avec la clique de l’ambassade.-GRR- Je me suis retrouvée coincée entre le chinois et le chaoui, le chinois on dirait un élève de langue zo bien élevé qui sera ambassadeur plus tard, quant au chaoui, c’est un branleur à GTI qui cause que de bagnole et qui va en boîte le samedi. yeah. en plus c’était 800 dinars de la bouffe pas terrible, ! et la belle grande gueule de chaoui a oublié de payer tellement il était pressé. Je suis aigrie.

Mardi

On a MTVé et Blueberryé. On est sauvées, merci Karim pour toutes ces bédés. On range un peu et on a RV avec Rabi3a (la soeurette de Rachid mon pote qui est aux Pyrénées) il faut encore aller à l’Hôtel Djazaïr, trouver des cadeaux exotiques –et ici ils s’en foutent de l’exotisme- et faut speeder pasqu’à 17h30 Mimo et Smaïl passent nous chercher pour aller avec nous à la Casbah, -où on nous a dit de pas aller toutes seules, mais je crois bien que quand on s’est un peu paumées, c’est exactement là où on est allées.

Youpi ! et demain on va à Tizi Ouzou voir un peu la Kabylie.

Le soir Cet après midi, on a fait la rue Didouche dans tous les sens et on a mangé du très bon poisson à la pêcherie en contrebas de la mosquée vers la Grande Poste.Puis on est allées voir Docteur Menaa (la maman de Redha  -sigh-) pour la gerbouille de Flox. Elle nous a filé un café et dit que Caretta et Tapie c’est pas des salauds.(on était pas d’accord mais on est bien élevées pis c’est la maman de Redha). Mimo est passé nous chercher avec un fourgon loué (je sais pas comment y fait moi y z’ont pas voulu me louer de voiture) ah oui, ici tu veux louer une voiture dans une boite de location de voitures c’est pas possible, si tu veux un Nuts,  y’a que les emballages…bon on va aller au marché noir alors…les taxis vides prennent personne, les flics ne savent pas renseigner, les marchands de cartes ne vendent pas de cartes d’Alger…donc avec Mimo la débrouille, et Farid son pote on est allées en reportage photo à la casbah. Il a du dire au mec « tu fais visiter ta maison aux gaourias, là ? »

On dirait la Croix Rousse de Lyon en plus moyenâgeux et en plus pauvre aussi…avec Mimo qui a parlé avec des jeunes, on a pu accéder à une terrasse où deux vieilles femmes accueillantes et un tas de gosses gambadaient.

On pouvait photographier. Mais bon après t’as un peu honte, ça fait « les occidentales pleines de fric qui viennent visiter en aventure ». Cela dit, on y retourne demain pour voir un musée « casbah typique » et peut être celui des arts traditionnels.

Puis Mimo nous a emmené à son club de tennis, où on a mangé de bonnes brochettes et de bonnes frites, et de la bière d’Algérie –bof-.puis on est rentrées et Flox a décoré mon cahier, on regarde d’une oreille Lee Van Cleef s’agiter dans un western à cent balles.

Mercredi

Je suis allée à l’Hôtel Djazaïr toute seule, prendre des photos.

entrée de l'hôtel

Les occidentaux viennent à l’aventure pour signer des papiers dans les hôtels de luxe, dans des fauteuils de cheikh, en buvant du thé à la menthe au jardin hyper entretenu. Puis, je suis passée prendre Flox qui dormait pour aller au musée des arts de la tradition, enfin, comme dans une maison de prince charmant avec harems, favorites –comme j’aurais pu faire-, cour interne des tas de mosaïques, des portes sculptées, des trucs arabes quoi…après quoi on devait aller à la mer, mais Karim nous a encore trainées dans une soirée chiante avec militaires et diplomates cons –je rappelle qu’avec le couvre-feu, on peut pas se barrer quand y’en a marre- Heureusement y’avait de la bonne bouffe…et alors y’avait ce pôv’ JM qui est un sale copé BNS là, (maît’ nageur, je peux pas les blairer) qui est con comme les jeunes pistonnés de l’armée qui peuvent passer une année de glande au consulat, là, et qui trouve que « chez les arabes c’est sale quand même ».

Et ils se rassemblent avec les français, et les seuls contacts qu’ils ont au bled, c’est des gens du consulat, des bi-nationaux, ou des tchis-tchis. Tant pis pour eux, ils risquent pas de connaitre un Mimo, ou une Djewida…

Jeudi

On est allées en taxi à la plage au « club des pins ». Le taxi nous a -à mon avis- arnaqué : ça affichait 95,5 mais on a payé 200 dinars…oui on s’en fout c’est rien quand même.

Vendredi                                                                                                                                                               On a repris l’avion pour Marseille.

Nos parents étaient soulagés qu’on se soit bien marrées.

On est jamais allées en Kabylie y’avait déjà des faux barrages et des histoires sordides d’énervés qui zigouillaient tous les passagers d’une voiture.

A l’heure où je scanne ce petit cahier, je me dis qu’on a jamais repris contact avec Mimo, ni Karim qui nous a hébergé. Ben heureusement qu’ils étaient là.                                Merci Mimo Merci Karim. et merci à tous les autres qui ont été vraiment sympas avec nous à un moment où l’Algérie, c’était pas facile pour les Algériens.

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