Sayond est arrivée en France à Paris en 2000, en provenance de la Thaïlande via l’Italie en train de nuit . Elle est descendue au petit matin en gare de Lyon, et était attendue par des gens de sa communauté afin de trouver un travail. Mais voilà que, dès la première semaine, elle a été arrêtée et elle a fait deux semaines de centre de rétention. Elle en est ressortie indemne pour vice de forme et a vécu depuis 2000 sans être arrêtée de nouveau.
Je l’ai rencontrée dans un centre social à Belleville où je donnais des cours de français. La moitié de mes élèves étaient sans papiers. Sayond est radieuse, petite et très bien proportionnée, avec un corps en parfaite santé et un sourire quasi permanent. Elle a déjà soixante ans, mais on lui donne à peine cinquante.
Elle parle français avec un accent asiatique terrible (au téléphone on ne comprend rien) et malgré mes brillants cours de français, elle insère dans presque toutes ses phrases un bloc « pouaka » qui n’a pas de sens et ressemble étrangement à un tic de langage. Elle comprend tout ce qu’on dit même quand on parle très vite et entre français.
Sayond fait des ménages et garde des vieux : elle a habité presque trois ans avec une vieille dame dans le 20ème. Elle avait sa chambre et en échange elle s’occupait chaque jour de la vieille dame qui était gentille avec elle, mais la vieille dame est morte. Le plus souvent son travail consiste à s’occuper de personnes âgées, en échange de pas grand chose, il s’agit de gens qui ne pourraient pas se payer une aide ménagère ou une aide médicale formée, et qui sont bien contents de la trouver.
Elle a aussi fait des ménages, des courses, du gros nettoyage, des lessives, du repassage, prépare des repas, fait la toilette de vieux, et quand les patrons ont besoin d’une servante, elle apporte les plats…tout ça chez une vieille dame qui a refusé de la payer, et qui l’a menacée de la dénoncer, ou chez des gens sans scrupules (prof à l’ENS tous les deux) qui chipotent et lui retiennent dix euros si elle casse une assiette, ou encore chez une bourgeoise au foyer qui lui explique comment il faut balayer… bref chez des nostalgiques de nos belles colonies du Tonkin.
Sayond a traversé le durcissement anti sans-papiers de Sarkozy miraculeusement, et je l’ai aidé à monter un dossier de régularisation, parce que ça nous semblait évident qu’au bout de douze années de présence en France -qu’on pouvait prouver- Hollande lui lâcherait un permis de séjour de dix ans pour qu’elle ait enfin la paix.
Elle a obtenu deux fois quatre mois de permis de séjour sans autorisation de travailler -autrement dit une incitation au travail au noir- et alors qu’on sentait (prématurément) le vent du permis de séjour d’un an, elle a reçu un refus sans appel. Son seul recours c’est l’aide juridictionnelle, où on sait tous très bien que sans argent, c’est un avocat commis d’office qui lira le dossier dans les couloirs à toute blinde avant de le défendre.
Bref, ça a l’air d’une cause perdue non ?