« Enquête au paradis » un film génialement triste

Bon j’ai écrit à Monsieur Merzak Allouache

1) l’Algérie
Je viens de passer dix jours en Algérie
Il se trouve que j’ai un contact particulier avec l’Algérie :
j’ai été élevée avec mes voisines à Revin dans les Ardennes presque belges, avec une famille algérienne chez qui j’ai grandi avec les plus jeunes filles qui sont devenues mes sœurs. Il n’a jamais été question de religion, et pour ce qui est de l’identité, par exemple, ma copine Monie répond toujours à la question « d’où tu viens ? » qu’elle est ardennaise. Comme j’ai entendu parler en arabe (derdja) j’ai été l’apprendre à l’Inalco dès que j’ai pu, je suis toujours en contact avec mes « sœurs ».
… Plus tard, j’ai encore rencontré à Paris dans des colocations des copains algériens que j’ai gardés comme amis à vie. Tous ou presque sont en France, car certains étaient menacés, Gyps et Dahmani faisaient de dangereuses caricatures dans plusieurs journaux. Il n’y en a qu’un qui est retourné vivre à Alger au plus fort de la sale décennie, en 96… Dans le cadre de mes études que j’avais reprises sur le tard je suis allée à Alger en 93 en 2010 et en 2011. (il existe des articles sur choddar blog que voici https://choddar.com/category/la-gaouria-a-alger/

Bref je connais un peu. Et j’ai une réelle sympathie pour les algériens, je crois que je suis restée sur un élan historique culturel de reconstruction après l’Indépendance, quelque chose de très prometteur avec Frantz Fanon, Ché Guévara, le socialisme idéalisé… Et puis tous les gens chez qui j’allais à Alger sont instruits, journalistes, laïques.

Voilà que je viens d’y retourner avec mon copain kabyle, je suis revenue bizarre. Or, en voyant votre film, « enquête au paradis » tout m’a paru clair. J’ai presque dit oui à tout. Acquiescé chaque parole de chaque personne interrogée.
Bon un seul bémol, personne ne répond clairement « je suis athée je n’ai aucune idée de ce qu’est le paradis ». Certains éludent la vraie question, mais ce nest pas aussi frontal que ça.

Ce qui m’a frappée et qui est raccord avec votre film, c’est que la société algérienne est tellement pleine d’interdits et de complications, que les gens se rendent malheureux.
Alors moi, qui suis un pur produit soixante-huitard avec des parents très ouverts qui m’ont toujours responsabilisée en terme de choix… Est-ce qu’on peut passer réellement à l’âge adulte sans expériences sexuelles ? Sans avoir essayé l’alcool ? Voir les drogues ? On en est pas à sex drugs and rock and roll, mais tout de même, un peu de liberté à ce niveau là peut être formateur, non ?
Boire une canette dans une pièce à part par respect des aînés, ne pas pouvoir toucher son amoureux, devoir nier l’homosexualité, et la marginalité, à 48 ans, ça m’a fait un choc.
En effet, cette rupture générationnelle que vous montrez si bien est désespérante.
Les jeunes filles que j’ai rencontrées sont moins révoltées, moins libres que lorsque j’y étais en 93, elles ont l’air résignées, même quand elles travaillent, elles attendent le mariage, et servent les hommes (ce qui m’a paru très réactionnaire). J’ai eu la nette impression que la culture n’existe plus, on se raccroche à des traditions, pas à la culture. J’aurais voulu échanger à propos de contes kabyles, de transmission orale, ou de visions politiques, d’avenir … Ulach.
J’ai eu l’impression de ne parler que de mariage et de visa : l’unique autre porte de sortie.
Mon copain passe pour un inadapté social : pas d’enfants, pas de mariage, pas de religion. (Le tout sans psy, je ne sais pas comment il fait,la pression est si forte !)

Votre film m’a rassuré, conforté dans mon incompréhension. Et rendue triste aussi, pour l’algérie et finalement ici…

2) Le public
Ce qui est vraiment dommage, c’est que je pense qu’il serait merveilleux de le passer dans les écoles et les prisons, ou à la place du journal télévisé, d’Hanouna ou des anges de la télé… Les personnes concernées à qui ça ferait un bien fou de réfléchir échappent malheureusement à la culture consciente et politisée.
Là nous étions un public acquis, quinquagénaires ou vieilles profs retraitées, entre le tai-chi et les courses à Naturalia.

3)… et la France

Je ne sais pas si ça doit rassurer ou déprimer encore plus, mais votre film, à peu de chose près, on pouvait le faire ici, des cinglés qui font des prêches ahurissants, on en a récupéré, -quand Chirac a ouvert la porte à des fous du GIA dans les années 2000-, ; on s’est donc retrouvés avec la gars de Brest qui voulait que nos enfants n’écoutent plus de musique, avec comme menace d’être changé en porc ou en singe… Tout le monde a ri, mais je suis sûre qu’il a quand même touché un public.

Nous avons aussi un gros problème d’éducation, comme vous le dites pour l’Algérie, notre école républicaine, en France, se perd depuis vingt ans… elle encourage la bêtise et le communautarisme. Mes gosses étaient scolarisés en 2005 / 2008 dans une école publique Porte de Montreuil ou voici ce qui reste des principes fondateurs :
Laïcité cantine sans porc (c’est le 20ème arrondissement faut pas gâcher)
Egalité Fraternité et Liberté, avec une instit’ qui interdit à un gamin de la classe d’un de mes enfants
de prendre la parole
parce que « tout ce qu’il dit est faux » (avec ça il va progresser c’est certain)
et s’il se rebelle on le prive de sortie culturelle avec les autres agités.
Quand on voit que cette instit’ est devenue directrice, on ne s’étonnera pas que le quartier s’est replié sur ce qu’il connaît (plus ou moins bien) sa communauté et sa religion.

Et comme si c’était mektoub dans ma vie de kafir dépravée, j’ai failli prendre des balles dans le cul au Bataclan. Du coup ça m’a encore un peu rapprochée de mes potes algériens qui ont vécu le terrorisme au quotidien, moi ça n’a duré que quelques heures.
Alors je suis très sensibilisée au sujet des populations délaissées et entraînées par ces prédicateurs qui font rire au début, et dans l’islam fou non réfléchi et inculqué à la va vite.

Le vrai problème est qu’on maintient les gens dans l’ignorance.
On peut ainsi bien mieux les contrôler ?

En tous cas, Monsieur, MERCI pour votre film qui m’a permis de mettre des mots et de clarifier mes sensations lamentables.
C’était aller le voir ou aller chez le psy.

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Un commentaire pour « Enquête au paradis » un film génialement triste

  1. allouache dit :

    merci.

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